Naoto dormait, ce soir-là. A poings fermés. La veille, elle avait bu un peu de trop, mais c’était parfaitement voulu ; depuis sa discussion avec Hiko, la petite vampire passait presque toutes ses nuits au bar, à se saouler pour oublier. Cela faisait presque cinq jour que cela durait, et déjà elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Des cernes commençaient d’apparaître sur son visage alors qu’elle n’était pas sensée pouvoir en obtenir, elle se traînait plus qu’elle ne marchait, et ne se laissait que peu de temps pour dessaouler avant d’en remettre une couche. Dépression ? Pas tout à fait…bon, d’accord, c’était peut-être une petite dépression. Mais ce n’était que passager, en attendant qu’elle rebâtisse une carapace plus impénétrable encore.

Depuis ce soir-là, Naoto n’avait plus revu Hiko. Elle ne cherchait pas à la revoir, en même temps. Ça lui avait largement suffit. Il fallait encore qu’elle s’en remette…la chemise d’Omi ne la quittait plus, elle n’avait pas encore eu le courage de la lui redonner. Plutôt…de la lui reposer bien gentiment dans sa chambre, à son insu. Elle la gardait contre elle, comme une sorte de « souvenir ». Un souvenir à double sens. Elle appartenait à Omi, donc forcément elle ne pouvait s’en détacher, mais en même temps elle lui rappelait ce que la louve faisait…vivre sa vie comme elle l’entendait. Naoto ne pleurait pas, mais ressentait chaque jour comme un grand vide dans sa poitrine ; vide bien vite comblé par l’alcool, son meilleur ami depuis peu.

Bref. Elle dormait à poings fermés, mais un bruit sourd la réveilla presque en sursaut. Comme si quelqu’un frappait à la porte, en fait. La vampire ouvrit un œil explosé, et vit aussitôt qu’il faisait déjà nuit ; le soleil n’essayait plus de percer ses volets et rideaux, bien. Grognant de douleur en se redressant, elle se tint la tête des deux mains : ouh, la jolie gueule de bois…mais pourquoi s’était-elle réveillée d’ailleurs ? Ah oui, c’est vrai, la porte. Qui diable osait venir la voir en ces moments pareils ?! Elle se leva du lit, s’y reprenant à deux fois, et se dirigea au radar vers la porte, l’ouvrant à la volée. Cependant, personne n’attendait derrière. Une blague ? Elle était de mauvais goût ! Naoto grommela quelques insultes sur ces petits voyous qui s’amusaient à faire ça, et s’apprêta à refermer la porte quand quelque chose attira son attention. Un papier blanc sur le sol. Elle se pencha, le ramassa, et plissa des yeux pour le lire. Pas besoin de lumière, mais en revanche, sa vue était toujours trouble de la veille…cependant elle y parvint. Ca semblait être un mot d’Hiko.

-« …je vais l’emmener à Shibuya »…

La petite brune réfléchit quelques secondes, jouant avec ses piercings, pesant le pour et le contre. Elle ne fut pas longue à se décider, comme elle ne fut pas longue à s’habiller convenablement ni à sortir. Mais elle ne voulait pas se faire voir…en espérant que le sol ne soit pas trop humide, elle ouvrit sa fenêtre, ses volets et sauta dans le vide. Heureusement pour elle l’herbe et la terre étaient sèches, et les deux femmes discutaient un peu plus loin. Elle les observa longuement avant de les suivre, gardant toujours une certaine distance entre elles.

La ville. Dès qu’elle entra dedans, Naoto sut tout de suite qu’elle avait commis une erreur en voulant suivre ses envies. Trop de bruit, trop de lumière, trop de couleur et trop de monde. Elle se sentait mal ici, même en tentant de faire abstraction de tout ça. Comment cela se faisait-il qu’il y ait tant de monde alors qu’il faisait nuit ? Elles étaient à Shibuya, le quartier le plus côté de tout Tokyo…quelle idée de s’embarquer là-dedans…mais pourquoi ne pas prendre de la hauteur ? Elle éviterait tous ces gens ! Non, c’était trop risqué. Alors elle se contenta de les suivre des yeux, notant avec une certaine amertume la proximité entre Hiko et Omi. Jalousie, quand tu nous tiens…oh, et elle ne se sentait vraiment pas bien ici…

Naoto ne voyait plus rien, elle fermait les yeux très forts, paniquée par tant de monde. On aurait dit une petite enfant perdue dans les grandes rues de Tokyo…ce qui en soit n’était pas faux. Mais elle se reprit tant bien que mal, et rouvrit les yeux. On la bousculait de partout, sur la route, sur les trottoirs, contre les vitrines. Elle voulait s’en aller…mais pourquoi ne pas monter sur un toit pour échapper à tout ça ? Elle devra être prudente, pour ne pas être vue. Oui…c’était une bonne idée.

La petite brune se glissa entre les gens, s’approchant des boutiques trop colorées. Elle détestait les magasins. Trop de monde, trop de lumière. Les bars étaient largement mieux, même si le problème du monde n’était pas réglé pour le moins du monde. Au moins là-dedans, l’alcool l’aidait à oublier tous ces gens qui la gênaient. Un vampire agoraphobe…comme c’était prévisible. Quoique. Bref. Elle alla dans une ruelle un peu plus sombre, un peu déserte aussi. C’était nettement plus discret que de sauter aussi haut en plein milieu de la foule. Alors elle avisa le toit d’un immeuble, et commença à l’escalader à une vitesse hallucinante. En moins de cinq secondes, elle était sur ce fameux toit, et observait la masse de couleurs vives qu’étaient les humains en bas. Un mc do géant. Si elle n’avait pas peur de sa propre nourriture, Naoto s’en serait donné à cœur joie. Mais elle n’était pas là pour ça, oh non. Elle venait de repérer la tignasse rouge de Hiko qui entrait dans un magasin. S’en aller ? Les épier ? C’était peut-être ridicule, mais elle décida de rester encore un peu. De loin, elle pouvait voir qu’Omi disparaissait peu à peu sous la pile de vêtements que Hiko lui donnait, ce qui réussit à lui décrocher un demi-sourire. C’était une scène assez comique, en même temps…par chance ou par malchance, les cabines d’essayages étaient juste en face de la fenêtre. Très intelligent de leur part, vraiment. Mais bon, Naoto s’en fichait. Elle s’apprêta à partir, quand quelque chose retint son attention. Hiko avait dérapé, et royalement. Elle bugua littéralement sur cette vision de son ‘’alliée’’ embrassant celle qu’elle aimait, alors que son cœur venait de soudainement disparaître. La surprise passée, elle serra les poings, tentant de se contrôler…mais c’était impossible. Elle hurla comme elle n’avait jamais hurlé, un cri de douleur mêlé de désespoir. Plus tard, elle se dirait sans doute que c’était pathétique. Mais pour l’instant elle s’en fichait. Les humains avaient entendu son cri et levé la tête, mais tout ce qu’ils purent sans doute voir était une ombre qui s’échappait de cet endroit maudit en s’accrochant aux immeubles. Elle retournait au château.

Pourquoi les vampires étaient-il si…invulnérables…si elle était toujours humaine, sûrement que la petite brune se serait jetée du haut du toit. Elle y pensait fortement, d’ailleurs. Ça faisait maintenant presque une heure qu’elle était rentrée, et elle s’était tout de suite rendue sur le toit. Se tuer en sautant…ce serait si facile ! Cependant vu sa nature, elle ne récolterait que quelques os brisés sous l’impact, qui se ressouderaient en moins d’une demi-heure. Quelque chose de douloureux et inefficace.

Le toit. Son refuge depuis tant de mois. Elle venait toujours ici lorsqu’elle allait mal, ou même lorsqu’elle allait bien, ou encore tout simplement quand elle en avait envie. Personne ne venait ici. Personne. Elle pouvait y pleurer tout son saoul, personne ne la dérangerait. De toute façon, qui le souhaiterait ? Qui s’en soucierait ? Naoto était seule. Seule avec sa solitude. Et ses larmes coulaient toujours, ses yeux fixaient l’horizon. Elle pourrait rester là jusqu’à ce que le jour vienne, que le soleil la brûle entièrement et la rende définitivement aveugle. Oui, elle le pouvait. Et elle le ferait.